Bienvenue à vous, ci-dessous, le texte complet du quatrième chapitre du roman de science-fiction Markind 55 Cancri : Vaisseau mère.
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Bonne lecture.
L’auteur, Philippe Ruaudel
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Chapitre 4 - L'éveil
La première sensation fut un léger picotement au bout des doigts. Lekia se tourna machinalement sur la droite pour dégager son bras. Le fourmillement qui s’ensuivit la réveilla brusquement. Elle regarda autour d’elle. Encore un peu groggy, le bruit de l’eau lui rappela sa sensation de soif. Curieusement, elle ne se sentait pas inquiète. Son esprit s’aiguisa de plus en plus. Elle prit quelques secondes pour observer son environnement. Elle se trouvait au bord d’un ruisseau. La végétation lui était totalement inconnue, mais sa couleur verte laissait penser à l’utilisation de la chlorophylle. Le ciel n’existait pas. Il se résumait à une sorte de plafond très élevé. Le regard de Lekia fut attiré par de hautes colonnes partant du sol vers le plafond à intervalles presque réguliers et ce à perte de vue. Sombre à la base, elles s’illuminaient de plus en plus dans leur partie supérieure. Passé ce rapide tour de situation, elle remarqua que sa combinaison était éteinte, tout comme le PIM à son bras. Ils étaient comme vidés de leur énergie. Elle se retourna et le spectacle lui fit marquer un brusque coup d’arrêt. L’ensemble des colons étaient là. Certains encore allongés, tandis que d’autres se levaient et marchaient doucement. On remarquait, tout de suite, une certaine fébrilité. Se redressant légèrement, Lekia chercha à utiliser le système pour s’abreuver via sa combinaison et son écharpe de respiration. Ces deux systèmes de survie, passifs, ne nécessitaient pas d’énergie électrique ni d’électronique pour fonctionner. Elle but quelques gorgées, se rationnant d’elle-même. Puis elle se leva lentement. Ses sens encore perturbés lui imposaient une certaine retenue.
Un peu plus loin, Celet s’occupait déjà de plusieurs colons. Il n’y avait pas de blessé. Tous semblaient se réveiller d’un long sommeil. Voyant Lekia debout, il s’assura de la condition du colon dont il s’occupait puis se dirigea vers sa décurion. Il marchait d’un bon pas en veillant à ne pas bousculer ou marcher sur un de ses semblables.
« Je dois avoir les mêmes questions que vous, Lekia, mais d’abord comment vous sentez-vous ?, demanda Celet en arrivant à sa hauteur.
— Plutôt bien, bizarrement. Je ne sais pas encore pour vous, mais cet endroit me semble familier. Pourtant, il est forcément nouveau pour nous, répondit-elle calmement en balayant les lieux les entourant d’un regard.
— Pareil pour moi. J’ai seulement eu une sensation de soif que j’ai pu étancher par mes réserves. Et machinalement, en l’absence de ma combinaison, j’aurais pu aller boire à ce ruisseau. Je sens ou plutôt, sais, que cette source est potable, dit Celet à son tour, l’air songeur.
— Oui, j’ai aussi cette sensation. Nos équipements semblent hors-service, ajouta Lekia.
Elle marqua un temps d’arrêt, puis, regardant par-dessus l’épaule de l’archiviste, elle aperçut Trabo au loin, qui s’attelait à remettre sur pied plusieurs de ses camarades.
— Allons rejoindre Trabo. J’étais en communication avec lui et Phel quelques secondes avant d’arriver ici. Peut-être pourra-t-il nous en apprendre plus, lança la décurion.
Trabo ne portait pas son écharpe de respiration. Ce détail intrigua Lekia.
— Comment vous sentez-vous, Trabo ? Et Phel ?, demanda Lekia en l’aidant à assoir un colon.
Trabo s’enquit de lui retirer son écharpe. Il remarqua le regard surpris de Lekia.
— Que faites-vous ?, dit-elle.
— Pas d’inquiétude, vous pouvez enlever, vous aussi, votre écharpe de respiration. C’est elle qui nous rend un peu hagards et nous donne soif. Je vais beaucoup mieux depuis que je m’en suis débarrassé. Mais surtout, regardez mes lèvres, dit Trabo.
— Vos lèvres ? Elles sont…, » commença Lekia. Mais sa phrase resta en suspens.
Trabo leva légèrement la tête et fit un cul-de-poule avec ses lèvres. Bien que son visage ait pu faire sourire la plupart des humains, la réaction suscitée n’en fit rien. De légères saillies apparaissaient. Puis, il ouvrit grand la bouche. Elles s’étalaient jusqu’au fond de la gorge.
Lekia eut d’abord un léger mouvement de recul qui faillit la faire basculer. Celet la retint de justesse.
« Incroyable ! réagit-elle, sa voix mêlant l’étonnement et l’effroi.
— Et c’est pour tout le monde pareil », ajouta-t-il d’un geste qui embrassait l’ensemble des colons.
Lekia et Celet enlevèrent leurs écharpes et touchèrent du bout des doigts ces mêmes saillies. Aucune douleur. Juste une sensation nouvelle, comme s’ils avaient de nombreuses gerçures indolores.
« Et Phel ?, demanda de nouveau Lekia avec une pointe d’inquiétude dans la voix.
— Phel doit encore être là où je l’ai laissé la dernière fois. Je me rappelle juste avoir fermé le conteneur hermétique avant que les algues ne rentrent dans la soute du transporteur. C’est même d’ailleurs mon dernier souvenir. Je me rappelle vaguement qu’elles m’ont causé de l’effroi. Mais étrangement, je ne les crains plus. Je me suis réveillé seul un peu plus loin. Un peu avant vous tous. Je ne l’ai pas aperçu jusqu’ici, expliqua Trabo d’un ton calme.
— Des sondes ou une équipe de sauvetage ont dû être envoyées sur le camp embryonnaire et votre zone depuis que nous avons disparu. L’équipage du Markind doit être à notre recherche. Je vais essayer de trouver Meltia et les autres décurions pour définir nos prochains objectifs », dit Lekia.
Un peu en retrait pendant la discussion entre les deux colons, Celet observait avec avidité l’environnement autour d’eux.
« Cet endroit est fascinant. Regardez cette végétation. On se croirait presque dans une immense prairie où de légères collines viennent casser la ligne d’horizon. Et ces immenses colonnes, elles semblent soutenir le ciel », intervint l’archiviste de la décurie.
— Il vous faudrait de quoi noter toutes ces nouveautés, Celet. Et là, sans PIM, votre mémoire va être mise à rude épreuve, dit Trabo.
— Ne sous-estimez pas un archiviste et sa mémoire. Ils ont été entraînés à cela », lança Lekia à Trabo sur un ton léger.
Mais Celet ne répondit pas. Il restait, là. Immobile. Fasciné.
« Ils sont si grands », dit-il.
Meltia avait connu le même sort que les autres colons. Et pourtant, elle sentait une différence. Elle n’arrivait pas à comprendre laquelle. Elle s’était levée et dirigée vers le ruisseau et avait bu. Elle, comme d’autres colons, avait été enlevée dans son sommeil. Elle était revêtue d’un léger tissu dont les teintes reflétaient son statut. Elle regardait autour d’elle, observant d’un air détaché les colons qui s’activaient. Elle voyait leurs lèvres bouger. Ils s’affairaient à la faire réagir. Mais, une autre chose prenait place peu à peu dans son esprit, une tâche importante. Elle dépassa doucement les quelques colons, en les poussant lentement mais fermement de ses bras.
Ils viennent. Ils m’accueillent, pensa-t-elle.
Lekia, Trabo et Celet observaient la scène. Meltia se dirigeant vers les êtres d’un pas assuré et serein. Ils étaient grands et gracieux. D’un noir profond, comme si la lumière une fois passée ne pouvait plus ressortir. Cette singulière couleur était similaire aux algues en surface et à la base des piliers. Les trois êtres longilignes semblaient glisser sur le sol. Ils s’arrêtèrent devant Meltia. Tous les quatre restèrent immobiles quelques secondes, l’ensemble des colons aussi. Le temps et l’espace semblaient entre parenthèses. L’humanité venait de perdre sa solitude. Meltia se retourna vers les colons. Sa voix fut entendue par tous, malgré sa distance. Elle fut claire et précise, sans ambiguïté possible.
« Nous serons bientôt réunis. Je dois nous rencontrer auparavant. Notre futur se dessine par ici. »
Meltia indiquait de sa main la direction que les colons devaient emprunter. Puis les trois êtres et Meltia partirent en direction d’un pilier. Arrivés à sa base, ils furent absorbés.
L’ensemble des colons semblaient sortir d’un rêve éveillé. Lekia, Trabo et Celet se regardèrent un instant.
« Je n’ai jamais ressenti une telle communion de toute ma vie. C’est comme si nous étions tous en symbiose, intervint Lekia.
— C’était si irréel et si palpable à la fois, dit Celet.
— Nous savons désormais où nous diriger », lança Trabo.
Une fois cette première expérience passée, les réactions fusèrent de toutes parts. La fascination de cet instant magique résonnait dans chaque esprit. Il n’y avait pas de frayeur, de peur ou même d’inquiétude. Un sentiment de bien-être avait accompagné l’intervention de Meltia.
Dans un seul grand mouvement, l’ensemble des colons se préparèrent à une sorte de procession. Les différents décurions se réunirent rapidement pour désigner un remplaçant à Meltia. Un décurion, Jobias, reconnu pour son sens de la diplomatie et ses qualités en exobiologie, fut déclaré centurion. Après un rapide briefing, les décuries se rassemblèrent. Il y avait été décidé que chacune devrait prendre un peu de distance par rapport aux autres, pour des raisons de sécurité, liées aux lieux inconnus qu’ils allaient traverser. Le peu de logistique permit un départ rapide. Lekia prit la tête de son équipe. Elle donna un rapide signal de la main pour signifier leur départ peu après trois autres décuries. Celet se mit à son niveau pour échanger avec elle sur les différentes hypothèses concernant les êtres qui avaient invité Meltia à les suivre. On sentait en lui une soif de partage et de connaissance au sujet de leur toute récente expérience.
« Fascinant : en postulant pour cet ensemencement, j’espérais secrètement rencontrer d’autres êtres vivants. Mais là, je suis comblé », lança Celet.
Lekia connaissait les talents des archivistes. Durant sa jeunesse, pendant sa formation, elle s’était intéressée à cette spécialité. Un fait la troublait au plus haut point, comme de nombreuses femmes d’ailleurs. Seuls les hommes pouvaient devenir archivistes. Pourtant, la lignée du Markind 55 Cancri ne mettait pas en avant le patriarcat. Toutes les autres disciplines, spécialités, étaient ouvertes aux deux sexes. Les femmes étaient d’ailleurs depuis les évènements d’Ition-g d’autant plus mises en avant. Beaucoup d’entre elles occupaient des postes primordiaux sur Baure. Mais, il n’existait pas de femme archiviste. La raison tenait à la technique pour améliorer les capacités de la mémoire eidétique. Les biologistes s’étaient perdus en diverses théories et expériences plus ou moins désastreuses. L’issue de l’humaniformation en ce domaine était fatale. L’état des recherches actuelles n’avait pas permis de mettre en surbrillance une possible cause, favorisant la naissance de croyances et renforçant l’aura sacrée des archivistes.
« Avez-vous des références liées à de tels êtres ou formes de vie dans votre mémoire?, demanda Lekia.
— Non. Les concernant, non. Cependant, les algues du sol semblent… Il faudrait la confirmation d’un biologiste ou d’un exobiologiste, bien entendu. Elles semblent liées au cycle chlorophyllien. L’écosystème qui nous entoure me fait penser à un milieu marin, commenta Celet.
— Qui commencerait à coloniser le milieu terrestre, ajouta Lekia.
— Tout à fait. D’ailleurs ceci n’est pas trop étonnant. En effet, Belgi et Ition-g sont remarquables pour la profusion de leur vie marine. Je parierais beaucoup sur le fait que la plupart des formes de vie présentes sur les différentes planètes habitables pour l’humanité soient des algues, acquiesça-t-il en argumentant son propos. Sur Baure, la présence d’algues a aussi été confirmée. Cependant, dans des proportions beaucoup plus faibles, ajouta-t-il.
— Oui, Celet, d’ailleurs ce type d’organisme vivant a même été repéré sur des lunes. Mais, de souvenir, dans des configurations biochimiques différentes, répondit Lekia.
— Effectivement. La vie semble avoir vraiment une capacité d’adaptation étonnante. D’ailleurs, une question se pose. À la vue de ce qui nous entoure, nous sommes vraisemblablement sous la surface. À quelle profondeur ? Je ne saurais pas le dire. Mais pourquoi ? , questionna Celet.
— Un refuge ? Les conditions de vie à la surface ne permettent peut-être pas à la flore et la faune de s’y épanouir ?, ajouta Lekia.
— Je ne pense pas. L’atmosphère et les températures en surface sont compatibles avec le développement de la vie. L’humidité y est suffisante. D’ailleurs les algues noires semblent plus qu’en profiter, répondit Celet.
— Excusez-moi de vous interrompre, intervint Trabo, mais nous approchons d’une gorge un peu plus à droite. Je vois d’autres équipes y pénétrer.
— De toute façon, nous n’avons pas trop le choix. Allons-y. Ayons confiance en Jobias », lança Lekia.
La longue procession des dix équipes s’étendait sur plusieurs centaines de mètres. De façon ordonnée malgré les styles vestimentaires variés. Certains ne portaient qu’une fine combinaison protégeant en majeure partie leur corps de contaminations extérieures. D’autres avaient conservé la combinaison de sortie. Les qualités des matériaux offraient à leur porteur des mouvements aisés et un poids minime. La combinaison légère était connue et reconnue comme une seconde peau. La fatigue ne se faisait aucunement ressentir. La soif de découverte occupait les esprits. Étrangement, l’environnement mêlait un sentiment de connu et d’inconnu. Comme lorsque l’on revient sur un lieu d’enfance au crépuscule de sa vie.
Après quelques minutes de marche, les parois rocheuses se découpaient de chaque côté du passage. Large d’une cinquantaine de mètres environ, l’accès continuait de serpenter tout en s’enfonçant toujours plus. Bientôt, au loin, il semblait régner une plus grande clarté. Lekia remarqua que les décuries les précédant s’étaient arrêtées. Elles s’alignaient et des colons naviguaient d’un côté à un autre avec une excitation notable.
Lekia et sa décurie, après avoir légèrement pressé le pas, arrivèrent à leur niveau. Un colon se retourna vers eux.
« C’est incroyable ! Toute cette profusion de vie », s’exclama-t-il. On pouvait lire dans ses yeux une véritable exaltation.
La vue était effectivement à couper le souffle. Une vallée bouillonnante de vie s’étalait devant eux. Ce qui ressemblait à un grand lac occupait la partie droite de leur champ de vision. À gauche, de hautes parois rocheuses empêchaient toute progression. La plaine, à perte de vue, abritait des animaux étranges : certains longilignes, d’autres ressemblant à d’énormes salamandres sombres. Et toujours, à intervalles plus ou moins réguliers, les énormes piliers rappelaient leur situation souterraine.
« Tout ceci est bien merveilleux, mais restons prudents. Nous sommes assez vulnérables. Si un prédateur souhaitait goûter de l’humain, je doute fort de notre capacité à l’en empêcher, dit Trabo.
— Tu as raison. Restons groupés. C’est notre plus grande force », répondit Lekia.
Après avoir bu quelques gorgées à une source d’eau, Celet observait prudemment une des énormes salamandres. Le corps de l’animal ruisselait d’humidité. Elle semblait assoupie. Il hésita, puis la curiosité étant trop forte, s’approcha à une distance de plus en plus réduite. La peau de la salamandre n’était pas constituée d’écailles, ni de peau. Elle était comme une toile tissée. Il commençait à en deviner la texture. D’un seul coup, d’un mouvement rapide, la salamandre se hissa sur ses pattes. Celet était absorbé par son observation minutieuse. Son état d’enregistrement mémoriel n’eut pas le temps de le mettre à l’abri. Il se sentit agrippé et tiré violemment en arrière sur quelques mètres.
« Je ne pense pas que le moment soit opportun pour se livrer à ce genre d’étude. De plus, je ne souhaite pas que ma décurie figure comme celle ayant enregistré sa première perte accidentelle, lança Lekia.
La salamandre s’éloigna rapidement. L’archiviste, le souffle court, se releva en frottant machinalement sa combinaison.
— Leur vitesse est stupéfiante, dit Celet après s’être rapidement excusé.
— Oui, comparé à leur masse et à la gravité de Rød, c’est d’autant plus étonnant, répondit Lekia.
— Je ne pense pas qu’elles soient agressives. D’ailleurs, je n’ai pas ressenti d’appréhension à l’approcher. Quelle sensation étrange…, fit remarquer Celet.
— C’est ce que je pense également. Cet environnement ne nous est pas hostile. Je le sens, ajouta pensivement Lekia en balayant du regard la grande plaine. Rejoignons les autres décuries », conclut-elle.
Après une courte pause, leur nouveau centurion, Jobias, en profita pour faire le point sur leur progression. Quelques instants plus tard, L’ensemble des colons reprirent leur procession dans la direction que leur avait indiquée Meltia. La faune locale montrait une indifférence paisible envers leur présence. À chaque tentative d’approche, les animaux firent signe de désintérêt et s’écartèrent de leur chemin. Toute la vallée regorgeait de créatures plus ou moins grandes. Certaines ressemblaient à des espèces déjà connues, marquant certaines régularités dans les choix de la nature. D’autres, au contraire, semblaient comme des assemblages anarchiques. Ils faisaient éclore d’infinis débats entre les différents biologistes et exobiologistes du groupe. Une constante se détachait. L’ensemble de la flore et de la faune avait une partie plus ou moins marquée de son corps noir. Même les algues au sol laissaient paraître un filament sombre en leur centre. Une autre singularité interrogeait au plus haut point les différents experts ou non. Pas d’oiseaux, ni d’insectes volants. Rien ne semblait avoir pris possession du royaume des cieux. D’ailleurs une des biologistes, dont la spécialité était l’ornithologie, fut la cible de quolibets plus ou moins agréables. « Tant d’études pour arriver sur une planète dépourvue d’oiseaux », avait-elle entendu à plusieurs reprises.
Au fur et à mesure de leur progression, les colons furent saisis par une autre particularité. La faune semblait approcher régulièrement des piliers. Une fois à leur contact, ils étaient engloutis avant de ressortir, après un certain temps, comme ils y étaient entrés. Les piliers, en eux-mêmes, imposaient silencieusement une forme de respect en soutenant la voûte céleste. Les colons voyaient parfois sa luminosité croître et décroître légèrement.
« Je ne pense pas qu’il y ait de rythme circadien, s’interrogea à voix haute Celet.
— Non, je n’ai pas remarqué d’animaux au repos. Apparemment, la journée risque d’être longue », répondit Trabo sur le ton de la plaisanterie.
Tout ce qui les entourait donnait aux colons l’impression d’une randonnée pédestre irréelle. Ils avançaient toujours dans la même direction. La faune continuait d’adopter à leur égard la même stratégie d’évitement. La progression n’était pas fastidieuse. L’ensemble du groupe, dans un bon état physique général, progressait donc sans peine. Quelques pauses furent marquées, ici ou là, pour s’abreuver au bord du lac. Autre point qui commençait à percer dans les discussions : l’absence de faim. Pourtant, cela devait faire plusieurs heures qu’ils arpentaient ce monde caché. Mais personne ne sentait, pour l’instant, cette sensation. La soif était pourtant bien présente mais les réserves de chacun et le lac à proximité permettait de l’étancher. Le chemin qu’ils empruntaient les menait droit vers un pilier. Ces derniers étaient répartis de façon aléatoire. Cependant, ils pouvaient aisément en distinguer trois dans leur champ de vision. Et ce quelle que fut la direction dans laquelle on observait. À son approche, le pilier montrait toute sa majesté. La base sombre comme l’ébène s’éclaircissait au fur et à mesure de sa hauteur. Son sommet brillait d’une douce lumière en s’évasant tout en se fondant dans sa cime. La base elle-même était légèrement évasée, mais dans une moindre proportion que son sommet. Les colons pouvaient désormais apercevoir la faune s’approchant du pilier. Une salamandre, bien qu’énorme, entra sans peine et y disparut. Après quelques minutes de marche supplémentaires, les premiers colons arrivèrent à moins de trente mètres de la base du pilier. Ce furent les premiers à ressentir la faim.
© Philippe Ruaudel
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